Aziz Sahmaoui fête les dix ans de son université gnaouie
Prisonnier du Covid depuis un an, le best of du band University of Gnawa emmené par Aziz Sahmaoui paraît enfin. L’occasion de revenir avec lui sur cette expérience, aussi réussie qu’inédite. Interview.
par Jacques Denis
C’est dans le riche terroir musical de Marrakech, creuset culturel des différentes « tribus » du Maroc, qu’Aziz Sahmaoui s’est éveillé aux vibrations du son. Dès l’âge de sept ans, son père lui fait ainsi découvrir la diversité locale à l’œuvre : le rock psychédélique de Nass El Ghiwane, les merveilles mélodiques du chaâbi, mais aussi les transes syncrétiques des confréries soufies. Ce seront les trois piliers de l’imaginaire de celui qui fonde son premier groupe à douze ans, un « univers sonore » bientôt enrichi par le jazz qu’il approfondit en traversant la Méditerranée en 1989, afin d’y poursuivre des études lettres. Il va aussi patiemment s’installer dans le paysage français, et pour longtemps.
Vingt ans et bien des expériences plus tard, à commencer par l’Orchestre National de Barbès au mitan des années 1990 puis l’initiatique rencontre avec Joe Zawinul Syndicate une dizaine d’années plus tard, le chanteur et multi-instrumentiste (percussionniste, il tâte également de nombreux instruments à cordes, du guembri marocain au ngoni malien) ne cesse de réinvestir l’espace créatif de son enfance, une histoire de formules alchimiques. C’est ainsi qu’est né University Of Gnawa, un projet à la lisière des musiques sahéliennes où il convie le joueur de kora Cheikh Diallo, les Sénégalais des bords de Seine Alioune Wade à la basse et Hervé Samb à la guitare, sans oublier le batteur Jon Grandcamp aux baguettes et Cyril Atef sur leur dernier album, Poetic Trance. Somme toute, une section rythmique on ne peut plus adaptée pour transcender les vertiges extatiques des héritiers de Sidi Bilal (compagnon noir du Prophète et Saint Patron des gnawas du Maroc). Une bande qui au fil du temps et des concerts sera parvenue à s’inscrire dans le sillon syncrétique des confréries soufies, une tradition qu’elle féconde et fertilise depuis plus de dix ans et trois disques sans jamais en trahir l’état d’esprit originel. Retour d’expériences à l’occasion de la parution d’un best of, dix ans après la sortie du premier album.
Ce « nouveau » disque qui devait sortir en mars dernier aura accompagné toute la période de la crise sanitaire…
Aziz Sahmaoui : Il s’agit d’un best of qui s’inscrit dans la continuité de Poetic Trance, avec deux nouveaux morceaux, dont « Un homme bon », une prise live, et des titres remasterisés, qui permettent de faire ressortir d’autres sons. Il devait sortir au moment du premier confinement. Nous avions d’ailleurs prévu un concert à la Cigale, puis au Trianon (deux salles parisiennes, ndlr), et à chaque fois il a fallu repousser. C’est devenu interminable. On a désormais calé une date de concert (au festival Au Fil des Voix, diffusé le 28 février sur la page Facebook de PAM, NDLR).
Sans public…
C’est toujours bien de jouer, malgré tout. On se libère, c’est quand même le plaisir d’un musicien que d’échanger, d’écouter ses amis, de s’exprimer. Sinon, on risque de fondre, de se faner. Un peu comme l’automne, alors voilà il faut faire avec, ne plus attendre la belle saison. Nous avons besoin de construire, et la sortie de ce disque c’est pour moi comme apporter un peu de changement. Dieu sait qu’on en a besoin en ce moment !